Il y a un bas usage de toutes choses comme de tous sentiments. Il y a cet usage qui transforme tout en sang épais, en sommeil noir: de quoi, peut-être, aller d'une heure à l'heure suivante. Vous prenez soin de n'appeler personne. Puisque personne ne pourrait rien. Puisque rien ne vous arrive. Il y a des saisons plus favorables que d'autres à cette fin des temps. Disons l'été, quand le ciel pèse de toute sa lumière sur votre pensée. Disons aussi l'automne. Disons toutes les saisons, puisque chacune peut vous mener ainsi dans son enfer. Depuis l'enfance vous avez beaucoup appris sur ce dommage éternel de chaque jour. Vous y avez trouvé votre formule du bonheur informulable. Elle tient en un mot, et ce mot se tient sur un souffle, au bord des lèvres: rien. Un rien vous enchante. Si un rien vous enchante, c'est aussi parce qu'un rien peut vous anéantir. La même lumière peut, selon les heures et la direction du songe, vous exalter ou vous ruiner.
Passage du livre "La part manquante" de Christian Bobin
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